L’astéroïde

“- Où sont les hommes ? reprit enfin le petit prince. On est un peu seul dans le désert… – On est seul aussi chez les hommes, dit le serpent.”

Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince

Ce week-end fut hors du temps. Dans les champs. Chez les grands-parents. J’ai pris le temps de regarder la vie à la manière des Papys d’Amérique latine (enfin plutôt l’image que j’en ai parce que je ne suis jamais allée en Amérique latine), bien calés dans leurs fauteuils en plastique sur les trottoirs ensoleillés, avec le marcel et le cigare. Bon, sans le marcel.  Mais l’état d’esprit y était. Comme une volonté de sortir momentanément de son existence pour mieux s’y replonger. L’odeur du grenier, les tableaux de Papy, le placard à confitures, les poutres qui craquent. Les pommiers, les champs de blé, la camomille. Le vent. Et le silence.

Depuis toute ces années rien n’a changé. Ou presque. Des appareils dentaires en moins pour certains, des cheveux blancs en plus pour d’autres. Le reste est immuable. Le monde pourrait s’écrouler, là-bas sera toujours ce petit astéroïde où Mamie a le sourire parce que la bergeronnette est revenue (je crois que c’est la bergeronnette, parce que moi je ne m’y connais pas trop en nom d’oiseau au grand désespoir de Mamie).  Cette petite planète où le bruit du silence est apaisant, où les épaisses couvertures de laine vous happent doucement, où l’odeur du café se répand à travers les poutres en bois dans le matin brumeux.

Sans même avoir descendu l’escalier le dimanche matin, je sais que Papy est dans la cuisine, et qu’il regarde à travers la baie vitrée les premiers rayons du soleil à l’horizon. Une tasse de café dans une main, l’autre sur la fesse gauche. Oui, Papy met toujours la main sur sa fesse gauche au réveil, et ça nous amusait beaucoup quand ma soeur et moi étions petites. Ça nous amuse toujours d’ailleurs. Mamie doit être là aussi. Devant la casserole de porridge. Avec toutes les petites poudres magiques qui font que le porridge de Mamie est inégalable. Mais parfois c’est une surprise et Mamie se lance dans la préparation du pain gâteau.

Le pain-gâteau, un rituel sans égal. Rien que le concept de « pain gâteau » est complètement génial. Mi pain à la croûte dorée, mi gâteau moelleux et aéré. Tout est dans la nuance. Rien se pèse, rien ne se mesure. Tout se fait à l’œil, au touché, à l’instinct. D’où ma grande facilité à retranscrire cette recette (« mais Mamie c’est combien la farine ? Un saladier ça ne veut rien dire, c’est 300g ou 500g ? »). Et Mamie a l’œil. Elle sait quand le levain est prêt. Ou que le pain a trop monté. Elle le jauge, du coin de l’œil, de loin, dans sa cocotte en terre près du radiateur. Entre temps elle râlera peut-être sur Papy parce qu’il n’écoute rien. Et lui s’en ira au jardin se réconforter dans ses poireaux, sa camomille et son persil.

Assise dans un fauteuil en velours, le thé que Papy infuse toujours trop fort à la main, je me suis demandé à quel moment ma vie était devenue ce grand n’importe quoi. A quel moment m’étais-je laissée couler dans cette existence trop rapide, trop déconnectée, parfois même malsaine. Comment avais-je pu oublier l’odeur du pain-gâteau, de l’herbe coupée et du papier jauni des livres du grenier ? Pour la première fois je me suis sentie calme. Dans le présent. Bercée par les allers et venues de Papy dans le pré, le jazz qui sortait doucement des baffles et les mains agiles de Mamie dans la pâte à pain.

J’aurais pu rester là des heures, des jours, tellement la vie semblait simple, naturelle, puissante. J’aurais pu les regarder se chamailler encore et encore, regarder Mamie tailler ses hortensias, regarder Papy nettoyer ses cuivres avec minutie, peut-être même un jour le regarder peindre. Mais il a fallu rentrer. Heureusement j’avais pris une grosse valise. Pour y mettre le pain gâteau, les herbes folles du jardin, les poireaux, les tableaux, et les odeurs du grenier. Pour tenir jusqu’à la prochaine fois. Et ramener un peu de sérénité sur mon astéroïde à moi.

Portions : 4 Temps de cuisson : 5h

Ingrédients

  • 500g de farine
  • 1 œuf
  • 4 c.S de lait
  • 15 cl d’eau tiède
  • 3 c.S de sucre brun
  • 1 pincée de sel
  • 1 cube de levure

Préparation

  • Dans un bol mettre l’eau tiède avec 3/4 du cube de levure émiettée et 1 pincée de sucre.
  • Laisser lever et « buller » pendant 20min environ
  • Dans un grand saladier verser la farine et y faire un puit au milieu
  • Verser le mélange eau-levain au centre, en mélangeant avec un peu de farine pour avoir une pâte un peu collante au milieu
  • Laisser de nouveau lever 30 à 40 min
  • Ajouter le lait, le sucre, la pincée de sel, l’œuf, et un peu d’eau si nécessaire jusqu’à obtenir une pâte qui se détache des parois sans trop coller
  • Laisser lever à couvert dans un endroit tiède pendant 1 bonne heure
  • Dégazer la pâte à brioche, la pétrir quelques minutes
  • Mettre la pâte dans une cocotte en fonte, ou un moule à brioche préalablement recouvert de papier sulfurisé et laisser de nouveau lever pendant 1h30 environ
  • Lorsque la brioche est bien levée, enfourner à 180° pour 25-30min en piquant avec une aiguille pour surveiller et en recouvrant d’aluminium si la brioche colore trop rapidement